Loi SREN : réglementer les jeux à objets numériques monétisables (JONUM)
Ce qu’il faut retenir
La loi Sécurité et Régulation de l’Espace Numérique (“loi SREN”) a été adoptée le 21 mai 2024. L’un des objectifs de la loi est de réglementer les jeux à objets numériques monétisables (JONUM), dans le but notamment de protéger les mineurs et les joueurs.
La loi Sécurité et Régulation de l’Espace Numérique (“loi SREN”), adoptée le 21 mai 2024, couvre des thématiques très diverses, telles que la protection des mineurs contre la pornographie et la régulation des contenus, la lutte contre la fraude en ligne et le cyberharcèlement, la possibilité de changer plus facilement de prestataire cloud,
Compte tenu de la diversité des thématiques couvertes par la loi SREN, celles-ci seront abordées dans une série d’articles distincts.
* * * * * * *
L'essor des technologies blockchain et l'intégration croissante des NFT et des crypto-actifs dans l'univers du jeu vidéo ont permis le développement des jeux web3, dont les jeux à objets numériques monétisables (ou “JONUM”). Ces jeux, qui permettent aux joueurs d’acquérir et de monétiser des objets virtuels, marquent un tournant majeur dans l'industrie du divertissement en ligne. (2) La loi Sécurité et Régulation de l’Espace Numérique (“loi SREN”), adoptée le 21 mai 2024, introduit un cadre réglementaire inédit pour encadrer ces nouveaux types de jeux.
La régulation des JONUM répond à des enjeux importants : encadrer ces jeux et les opérateurs, protéger les joueurs et les mineurs, prévenir les comportements addictifs. et assurer la sécurité des transactions. L’application de cette réglementation est toutefois soumise à la publication de plusieurs décrets.
Nous faisons ci-après la synthèse des principales dispositions applicables à l’exploitation de JONUM.
1. La régulation des entreprises de jeux exploitant des à objets numériques monétisables
Avec l’entrée en vigueur de la loi SREN, les entreprises qui développent et exploitent des Jeux à Objets Numériques Monétisables (JONUM) sont soumises à une série d’obligations strictes. Ces mesures visent à encadrer un secteur innovant et en pleine expansion, où les joueurs peuvent non seulement acquérir des objets numériques dans le jeu mais aussi en tirer des bénéfices économiques (“play-to-earn”).
1.1 Qu’est-ce qu’un JONUM ?
La loi SREN définit les jeux à objets numériques monétisables comme des jeux “proposés par l'intermédiaire d'un service de communication au public en ligne qui permettent l'obtention, reposant sur un mécanisme faisant appel au hasard, par les joueurs majeurs ayant consenti un sacrifice financier, d'objets numériques monétisables, à l'exclusion de l'obtention de tout gain monétaire (…)”
Les objets numériques monétisables sont définis comme “les éléments de jeu qui confèrent aux seuls joueurs un ou plusieurs droits associés au jeu et qui sont susceptibles d'être cédés, directement ou indirectement, à titre onéreux à des tiers.” (2)
Le fait d'intégrer des objets numériques monétisables dans un jeu pose des questions d’éthique et de sécurité similaires à celles des jeux d’argent et de hasard. Pour s’assurer de la conformité de leurs activités, les opérateurs de JONUM doivent donc répondre aux obligations définies par la loi SREN.
1.2 Quels sont les types de jeux concernés ?
La loi SREN s'applique aux opérateurs de jeux en ligne qui permettent la monétisation d'objets virtuels, sous certaines conditions. Plus précisément, sont concernés les jeux remplissant les critères suivants :
• Accessibilité en ligne : le jeu doit être accessible sur une plateforme en ligne, accessible au public.
• Présence d’un élément de hasard : le jeu inclut des éléments de hasard qui influencent les chances de progression, d’acquisition d’objets virtuels (avatars, armes, ou accessoires rares) ou de gains. Ces éléments de hasard, qu'ils soient associés à des mécanismes de tirage, de récompenses aléatoires ou d’autres aspects de gameplay, distinguent les JONUM des simples jeux d’échanges d’objets.
• Investissement financier du joueur : l’acquisition des objets virtuels est faite à titre onéreux. Ces objets peuvent ensuite être revendus ou échangés par les joueurs.
• Gains sous forme d’objets numériques monétisables : les récompenses ne peuvent être attribuées directement en monnaie légale, mais forme de crypto-actifs ou d’objets virtuels qui peuvent être monétisés dans le jeu ou sur des plateformes externes.
Ces critères permettent de distinguer les JONUM des jeux d’argent classiques, quand bien même en pratique la frontière entre les deux types de jeux n’est pas toujours clairement définie.
1.3 Quels sont les opérateurs concernés ?
Seuls les opérateurs dont le siège social est établi en France, ou dans un État-membre de l’Union européenne, peuvent exploiter un jeu à objets numériques monétisables accessible en France. (art. 40-I D) (3)
1.4 L’obligation de déclaration préalable
Les opérateurs de JONUM doivent se soumettre à une procédure de déclaration préalable auprès de l’Autorité nationale des jeux (ANJ). (art. 41-I A)
Le dossier de déclaration à l’ANJ doit notamment inclure une description des mécanismes du jeu pour déterminer si celui-ci entre dans la catégorie des JONUM réglementés et autorisés.
Toute modification substantielle dans le fonctionnement du jeu (telle que nouvelle fonctionnalité de monétisation, une modification des systèmes de sécurité, …) devra être notifiée sans délai à l’ANJ.
Il convient toutefois de noter que les modalités de déclaration doivent encore être précisées par décret.
1.5 Les sanctions applicables en cas de manquement
L'ANJ, en tant qu'autorité de régulation, est en charge de contrôler le respect de la réglementation par les entreprises de jeux. A ce titre, l’ANJ dispose de pouvoirs d’enquête administratives de conformité. (art. 41-XVII et s.)
L’Autorité peut adresser un rappel à la loi aux entreprises de jeux qui manqueraient à leurs obligations légales, voire une mise en demeure de mise en conformité pour un manquement plus grave. Le délai de mise en conformité peut être très bref - 24 heures - en cas d’urgence.
Par ailleurs, la commission des sanctions de l’ANJ peut prononcer des sanctions à l’encontre des opérateurs qui seraient en situation de violation de la réglementation. Ces sanctions, qui varient en fonction de la gravité du manquement, incluent :
• L’avertissement ;
• La suspension à titre provisoire de l’exploitation du jeu pour une durée maximale de trois mois ;
• L’interdiction d’exploitation du jeu pour une période maximale de trois ans, et l’interdiction pour une période maximale de trois ans pour l’exploitant d’exercer une activité d’exploitation de JONUM ;
• Des sanctions financières ne pouvant excéder 100.000€, en cas de communication d’informations inexactes, de refus de communiquer les informations demandées ou de blocage du déroulement de l’enquête.(art. 41-XXIII et s.)
Des sanctions à hauteur de 100.000€ peuvent également être prononcées à l’encontre des personnes (par exemple des influenceurs), qui font la promotion de jeux à objets numériques monétisables illégaux. Ce montant peut être porté au quadruple des dépenses publicitaires relatives à cette activité.
Enfin, l’ANJ peut demander aux hébergeurs, moteurs de recherches ou annuaires de bloquer l’accès ou déréférencer les sites exerçant une activité de jeux illicite. (art. 41-XXVIII)
2. La protection des joueurs : intégrité, fiabilité et transparence des opérations de jeu
Selon l’article 40 de la loi, “Les entreprises de jeux à objets numériques monétisables s'assurent de l'intégrité, de la fiabilité et de la transparence des opérations de jeu et de la protection des mineurs. Elles veillent à interdire le jeu aux mineurs et à prévenir le jeu excessif ou pathologique, les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.”
La loi impose ainsi aux opérateurs de JONUM de mettre en place des mesures de prévention et de sécurité visant à réduire les risques liés aux JONUM. Ces obligations visent plus particulièrement les publics vulnérables, à savoir les mineurs et les personnes susceptibles d’addiction.
2.1 La protection des mineurs
Les opérateurs de jeux sont tenus de bloquer l'accès des mineurs aux JONUM. Cette obligation vise à assurer que les mineurs soient protégés contre les risques financiers et sociaux associés aux JONUM.
Pour se conformer à cette exigence, les opérateurs doivent instaurer des systèmes robustes de vérification de l’âge des joueurs et prendre des mesures techniques pour empêcher les mineurs, même émancipés, d'accéder aux jeux monétisables. Cette obligation repose sur :
• Un message d’avertissement sur l’interface de jeu mentionnant l’interdiction aux mineurs ;
• La création d’un compte de joueur : afin de s'assurer que seuls les utilisateurs majeurs accèdent aux JONUM, les joueurs créent un compte personnel, permettant notamment la vérification de leur âge et de leur identité. Un seul compte peut être ouvert par joueur. (art. 41-II et III) (4)
En outre, les influenceurs ne peuvent faire la promotion en ligne de JONUM que sur les plateformes permettant d’exclure les mineurs de l’audience de ces contenus. (art. 41-XIII)
2.2 La lutte contre l’addiction au jeu
Une seconde série de mesures est prévue pour prévenir les comportements de jeu excessifs ou pathologiques. Ces mécanismes sont destinés à sensibiliser les joueurs au risque d’addiction et à leur offrir des outils pour gérer leur activité de manière responsable. Les principales dispositions incluent le déploiement :
• de mécanismes d’auto-exclusion pour permettre aux joueurs de suspendre temporairement ou définitivement leur activité ;
• d’outils d’auto-limitation des dépenses et du temps de jeu ;
• d’une interface de suivi de l’activité de jeu pour éviter les comportements compulsifs ; (art. 41-XI) et
• d’un message de mise en garde sur les risques liés au jeu excessif ou pathologique.
Ces mesures de prévention, bien que similaires à celles en vigueur pour les jeux d’argent classiques, sont adaptées aux spécificités des JONUM. Les modalités précises de mise en oeuvre de ces dispositions doivent être fixées par décret.
2.3 La prévention de la fraude et la sécurité des données
Les transactions liées aux JONUM peuvent exposer les joueurs à des fraudes potentielles, notamment via des plateformes externes ou des transactions entre pairs. Afin de limiter ces risques, la loi SREN soumet les entreprises de jeux à la réglementation en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
A cette fin, les entreprises doivent être en mesure de communiquer à l’ANJ les données relatives aux joueurs, aux événements de jeu et aux opérations financières associées. (art. 41-V)
Les entreprises de jeux disposent de 18 mois après l’entrée en vigueur de la loi, soit le 22 novembre 2025, pour mettre en oeuvre cette disposition. (art. 41-XVI) (5)
3. Le calendrier d’application
Le déploiement des dispositions relatives aux JONUM suit un calendrier étalé dans le temps pour permettre aux opérateurs de jeux de se mettre en conformité avec les nouvelles exigences réglementaires et d’adapter leurs pratiques. Ce calendrier comporte plusieurs étapes, depuis l'entrée en vigueur de la loi jusqu'à sa complète application, sous réserve de la publication des nombreux décrets d’application prévus.
3.1 Une entrée en application soumise à la publication d’une série de décrets
L’application effective de la loi est toutefois soumise à la publication de plusieurs décrets qui doivent venir préciser notamment :
• les catégories de jeux autorisés,
• les informations devant être fournies pour la déclaration à l’ANJ,
• les modalités de gestion des comptes des joueurs (ouverture, fermeture de compte),
• les données devant être collectées et conservées par l’entreprise de jeux pour communication à la demande de l’ANJ,
• les modalités de mise en place des mécanismes d’auto-exclusion et d’auto-limitation, etc.
3.2 La phase d’évaluation et d’ajustements
Les dispositions relatives à la réglementation des JONUM sont prévues à titre expérimental pour une durée de trois ans, soit jusqu'au 22 mai 2027.
Une phase d’évaluation est prévue pour évaluer l’impact de la réglementation. Un bilan d’étape sera réalisé à mi-parcours, dans un délai de 18 mois après l’entrée en vigueur de la loi, pour mesurer l’efficacité des mesures de protection des joueurs, de prévention des comportements à risque, et de conformité des entreprises. Ce bilan inclura également une analyse de l’impact économique de la réglementation sur le marché des JONUM et sur les jeux de hasard.
Six mois avant la fin de la phase expérimentale, le gouvernement présentera un rapport d’évaluation au Parlement, basé sur les résultats du bilan d’étape.
La réglementation des JONUM est une avancée significative qui doit permettre le développement de cette activité numérique innovante, dans un cadre légal offrant un environnement de jeu sécurisé et transparent. Sa mise en oeuvre est cependant soumise à la publication de plusieurs décrets d’application, ce qui risque de limiter la durée effective d’expérimentation de ce nouveau dispositif.
* * * * * * * * * * *
(1) Loi n°2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique, et plus particulièrement le Titre IV (art. 40 et 41) consacré aux JONUM
(2) Exemples de jeux à objets numériques monétisables : Sorare (cartes de joueurs de football sous forme de NFT), Gods Unchained (cartes sous forme de NFT), Axie Infinity (créatures du jeu sous forme de NFT, gains de jeu en jetons crypto), F1 Delta Time (voitures et pilotes sous forme de NFT, récompenses en crypto-monnaies)
(3) Étendu aux États-membres de l’Espace économique européen, hors UE (Islande, Liechtenstein et Norvège)
(4) Ces contrôles doivent être réalisés en conformité avec le RGPD.
(5) Dispositions prévues au code monétaire et financier
Bénédicte DELEPORTE
Avocat
Deleporte Wentz Avocat
Novembre 2024