Un émoji “pouce levé” peut valoir conclusion d’un contrat

Un émoji “pouce levé” peut valoir conclusion d’un contrat


Ce qu’il faut retenir


Utiliser un émoji "pouce levé" peut être interprété comme le fait de donner son accord pour la conclusion d’un contrat. C’est ce qu’a retenu une cour d’appel canadienne pour condamner une société à exécuter un contrat commercial. Les émojis sont également reconnus par les tribunaux français.



Les emoji sont ces pictogrammes couramment utilisés dans les messageries électroniques instantanées pour communiquer une émotion (sourire, éclat de rire, colère, approbation, …), une situation, désigner un objet, … Or, l’utilisation de ces pictogrammes peut avoir des conséquences juridiques, comme vient de le rappeler cette décision canadienne. Les émojis sont également reconnus comme des éléments de communication par les tribunaux français.


1. Le pouce levé interprété comme le consentement à la conclusion d’un contrat

Une affaire opposait un agriculteur à une coopérative dans la province du Saskatchewan au Canada. La société coopérative avait envoyé par sms la photo d’un contrat d’achat de graines de lin à un agriculteur, accompagnée du message suivant “Merci de confirmer le contrat de graines de lin”. Celui-ci a alors répondu par un émoji “pouce levé”.

L’agriculteur n’ayant pas livré la marchandise, la société coopérative l’a alors assigné pour non-exécution du contrat.

Selon la société coopérative, le pouce levé signifiait que l’agriculteur avait donné son accord à la conclusion du contrat qui lui avait été communiqué par sms. En revanche, l’agriculteur soutenait qu’aucun contrat n’avait été valablement conclu et que l’émoji ne pouvait être considéré comme son consentement à la formation d’un contrat.

Dans une décision du 16 décembre 2024, la cour d’appel du Saskatchewan a confirmé le jugement de première instance. Les juges ont considéré que le pouce levé pouvait être valablement interprété comme un accord à la conclusion d’un contrat. L’agriculteur était donc bien engagé à livrer la récolte de graines de lin à son cocontractant.

Selon les juges, les relations existantes entre les parties et le contexte ont eu une influence déterminante sur leur décision. En l’espèce, les parties avaient communiqué entre elles sur la livraison de la récolte de l’agriculteur à la société coopérative. L’émoji “pouce levé”, en réponse à la communication par sms du contrat de la coopérative à l’agriculteur, a pu être interprété comme un consentement valable à la conclusion du contrat, sans qu’une signature manuscrite ou électronique soit nécessaire.

L’agriculteur a donc été condamné à indemniser la société coopérative pour manquement à son obligation d’exécution du contrat. (1)


2. Les émojis sont également reconnus par les tribunaux français

Une décision similaire aurait pu être rendue en France. En effet, les tribunaux français ont reconnu à plusieurs reprises le caractère opposable d’un émoji.

Par exemple, dans un arrêt du 26 septembre 2024, la Cour d’appel d’Angers a confirmé qu’un salarié avait donné son accord à une modification de son contrat de travail en répondant à son employeur par un émoji. Selon la Cour, “… le dirigeant de la société Fremavi lui a adressé un message (au salarié) aux termes duquel il indique s’être “rendu copte d’une coquille” s’agissant de la classification minimale, et lui a proposé de resigner un contrat en ce sens ou de modifier la page, ce que M. W. a approuvé par un émoji non équivoque apposé au pied de ce message. (…)” (2)

Dans d’autres affaires, opposant généralement des employeurs à leurs salariés, les tribunaux ont reconnu que des émojis utilisés dans leurs échanges par sms pouvaient notamment être constitutifs de harcèlement. (3)


    Après avoir reconnu le caractère opposable des SMS et autres messages instantanés, les juges reconnaissent désormais le caractère opposable des émojis. Il convient donc d’être particulièrement prudent lorsque l’on utilise des moyens de communication instantanés (tels que les sms ou WhatsApp par exemple), particulièrement dans le cadre du travail. Ces messages, moins formels que le courrier ou l’email, a fortiori lorsqu’ils sont accompagnés d’émojis, sont aussi engageants qu’une communication classique. Ils peuvent donc être interprétés, selon les cas, comme l’accord à la conclusion d’un contrat, à la rupture d’un contrat, mais également donner lieu à des dérapages pouvant être qualifiés de harcèlement moral ou sexuel. Ces communications pourront par la suite être valablement produites en justice et engager la responsabilité de leur auteur.

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(1) Achter Land & Cattle Ltd. v. South West Terminal Ltd., Court of Appeal for Saskatchewan, 16 déc. 2024 (2024 SkCA 115 (CanLII)

(2) CA Angers, Ch. prud’homale, 26 sept. 2024, n°21/00594, M. NW c. SAS Fremavi

(3) Voir notamment CA Douai, 22 déc. 2023, n°22/00986, M. PG c. SARL Du Vignoble Au Verre


Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Janvier 2025