La création d’une société concurrente par un ancien salarié n’est pas nécessairement déloyale

La création d’une société concurrente par un ancien salarié n’est pas nécessairement déloyale

La création d’une société concurrente par d’anciens salariés soulève régulièrement plusieurs questions, liées notamment à la concurrence déloyale, particulièrement lorsque ces personnes étaient à des postes de direction commerciale, marketing ou développement. En effet, le départ de salariés pour créer une société concurrente de celle de l’ancien employeur, peut faire planer une suspicion de concurrence déloyale, a fortiori lorsque plusieurs salariés de l’ancien employeur quittent cette société pour rejoindre la nouvelle entreprise.

Or, la création, par un ancien salarié, d’une entreprise concurrente de celle dans laquelle il était employé auparavant n’est pas illicite, ni même déloyale, sous réserve du respect de certaines conditions.

En réalité, deux situations peuvent se présenter : soit l’ancien salarié a quitté l’entreprise libre de tout engagement, soit il était tenu par une clause de non-concurrence.


1. L’ancien salarié a quitté l’entreprise libre de tout engagement - application du principe de la liberté d’entreprendre

La liberté d’entreprendre est un principe général ayant valeur constitutionnelle, fondé sur l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. La liberté d’entreprendre implique le droit de créer et d’exercer librement une activité économique, dans le domaine de son choix.

Au titre de ce principe, toute personne est donc libre de créer une entreprise, sous réserve d’exercer une activité licite, et si celle-ci est réglementée (soumise à licence, ou certification par exemple), sous réserve de respecter les conditions d’établissement.

Ce principe s’applique également à la personne qui quitte un ancien employeur, quel qu’en soit le motif. Celle-ci peut donc créer une société concurrente et exercer une activité économique en parallèle de celle de son ancien employeur.

La liberté d’entreprendre doit évidemment s’exercer dans les limites de la légalité.

La création d’une société concurrente par d’anciens salariés pose des questions liées à la concurrence déloyale : le ou les anciens salariés ont-ils quitté l’entreprise en emportant des  documents confidentiels tels que des listes de clients, des plans marketing, des informations pouvant être qualifiées de secrets d’affaires, les codes source des logiciels développés par l’entreprise, …?

Il existe une abondante jurisprudence dans ce domaine. Par exemple, dans une affaire jugée en septembre 2021, les créateurs d’une société informatique, concurrente de leur ancien employeur, commercialisaient un logiciel développé sur la base des codes sources, dérobés à leur ancienne entreprise. Les dirigeants ont été reconnus, avec leur nouvelle société nouvellement créée, coupables de contrefaçon de logiciel et de concurrence déloyale. (1)

Dans une autre affaire d’avril 2023, les magistrats de la cour d’appel de Paris ont rappelé que la création, par un ancien salarié, d’une entreprise concurrente de celle dans laquelle il travaillait auparavant, n’était pas illicite ni constitutive d’acte de concurrence déloyale, sous les réserves suivantes :
    - l’ancien salarié n’était pas tenu par une clause de non-concurrence,
    - il n’a pas procédé à du débauchage de personnel,
    - il n’y a pas de détournement de clientèle, la seule clientèle qui suivrait l’ancien salarié vers sa nouvelle entreprise doit être acquise de manière loyale, 
    - le salarié peut préparer son projet de création d’entreprise concurrente, à condition que cette concurrence ne devienne effective qu’après l’expiration du contrat de travail. (2)

Même en l’absence d’accord de non-concurrence, l’ancien salarié est tenu par une obligation générale de confidentialité, qui reste effective même après son départ de l’entreprise.


2. L’ancien salarié était tenu par une clause de non-concurrence - application du droit des contrats

En revanche, l’ancien salarié peut être tenu, vis-à-vis de son ancient employeur, par une clause de non-concurrence lui interdisant de travailler, ou de créer, une société concurrente pendant une durée limitée et dans une zone géographique déterminée. La clause de non-concurrence pourra figurer par exemple dans un accord de rupture conventionnelle.

Dans ce cas, la création d’une société concurrente par l’ancien salarié n’est pas autorisée pendant la période et dans la zone stipulées dans la clause de non-concurrence. Dans le cas contraire, il s’agirait d’un manquement contractuel pouvant justifier une demande de réparation par l’ancien employeur.

En revanche, après l’expiration de la clause de non-concurrence, l’ancien salarié retrouvera son entière liberté d’entreprendre.


    Ainsi, quand bien même on ne peut reprocher à l’ancien salarié de s’appuyer sur son expérience et ses compétences acquises chez son (ou ses) ancien employeur pour lancer sa nouvelle activité, cette société concurrente devra être exploitée de manière licite et loyale.

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(1) TJ Marseille, 23 septembre 2021, Generix c. Acsep et autres

(2) CA Paris, Pôle 1, ch. 2, arrêt du 20 avril 2023, Coffim Auvergne Rhône-Alpes c. MM. W, X, Y Z et Kaufman & Broad


Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Octobre 2023