Accessibilité numérique : quelles obligations légales pour les services numériques ?
Ce qu’il faut retenir
L’accessibilité numérique a d’abord été limitée au secteur public. La directive “Accessibilité” de 2019 a élargi le périmètre d’application au secteur privé. Malgré une entrée en application le 28 juin 2025, le niveau de conformité des services numériques à la réglementation reste encore très insuffisant.
L’accessibilité numérique représente un enjeu incontournable pour les prestataires de services numériques. Au-delà d’une obligation légale, elle constitue un levier stratégique de performance et d’inclusion. En France, l’exigence d’accessibilité trouve ses racines dans la loi du 11 février 2005 et n’a cessé d’évoluer depuis.
L’accessibilité numérique a d’abord été cantonnée au secteur public. La directive de 2019 sur les exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et services a élargi le périmètre d’application au secteur privé. Malgré une première date d’entrée en application fixée au 28 juin 2025, le taux d’accessibilité des services numériques reste encore très insuffisant. *
1. Du secteur public au secteur privé : les contours de la réglementation applicable
L’accessibilité numérique peut se définir comme l’accessibilité pour tous aux sites internet et à leurs contenus, y compris à toute information sous format numérique. Concrètement, l'accessibilité numérique consiste, pour un site web, à intégrer des fonctionnalités permettant par exemple d'agrandir la taille des caractères des textes, ou d'accéder à la version audio des contenus.
Les obligations relatives à l’accessibilité numérique se sont d’abord limitées au secteur public, puis aux grandes entreprises. Ce n’est qu’avec la directive de 2019 sur les exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et services que ces obligations ont été étendues au secteur privé.
1.1 Le socle réglementaire
La réglementation sur l’accessibilité numérique est en construction depuis plus de vingt ans.
Au niveau international, le WAI (Web Accessibility Initiative), un département du W3C (consortium du World Wide Web) travaille sur la question de l’accessibilité numérique depuis 1997. Le WAI publie régulièrement des recommandations, dénommées WCAG (Web Content Accessibility Guidelines ou Règles pour l’accessibilité des contenus Web). Ces règles, considérées comme des standards, proposent un ensemble de solutions permettant de développer des services numériques accessibles à tous. (1)
Dès 2004, la LCEN disposait à l’article 3 que “l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics et les personnes privées chargées d'une mission de service public veillent à ce que l'accès et l'usage des nouvelles technologies de l'information permettent à leurs agents et personnels handicapés d'exercer leurs missions.” (2)
La loi du 11 février 2005 (art. 47) a mis en œuvre le principe posé par la LCEN, en précisant que l'accessibilité concerne l'accès à tous types d'informations sous forme numérique, quels que soient le moyen d'accès, les contenus et le mode de consultation. Les recommandations internationales pour l'accessibilité de l'internet doivent être appliquées. (3)
L’arrêté du 21 octobre 2009 a fourni la première version du référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA) (la dernière version à jour datant de 2019). Le RGAA précise les exigences techniques que les sites de l’administration et les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel excède 250 millions d’euros doivent respecter. (4)
Or, bien que tous les sites publics doivent être accessibles et conformes à l’ensemble des critères du RGAA depuis 2012, la situation est loin d’être satisfaisante en 2025.
Depuis la loi du 11 février 2005, la réglementation sur l'accessibilité numérique a évolué.
Deux directives européennes ont été adoptées en 2016 et 2019 : la directive du 26 octobre 2016 relative à l’accessibilité des sites internet et des applications mobiles des organismes du secteur public et la directive du 17 avril 2019 relative aux exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et services (European Accessibility Act ou Directive Accessibilité).
La directive Accessibilité, applicable au secteur privé, a été transposée par la loi du 9 mars 2023, complétée par le décret et l’arrêté du 9 octobre 2023 (5)
1.2 Le champ d’application
Le décret du 9 octobre 2023 dispose que les obligations d’accessibilité numérique s’appliquent aux produits et services suivants (art. D.412-50 c. conso.) :
- Produits : ordinateurs, terminaux en libre-service (terminaux de banques, transports), smartphones, téléviseurs ;
- Services : services de communications électroniques (téléphonie, internet), sites web et applications de commerce électronique, services de médias audiovisuels, sites web et applications de transports publics, services bancaires aux consommateurs, livres numériques et logiciels spécialisés.
2. La mise en œuvre des obligations d’accessibilité numérique aux services numériques
2.1 Les obligations applicables
La mise en œuvre de l’accessibilité numérique se décline en trois catégories d’obligations : techniques, déclaratives et organisationnelles.
a) Les obligations techniques : les prestataires sont tenus de fournir des services conformes aux exigences d’accessibilité afin de permettre aux personnes handicapées d’utiliser de manière “prévisible et optimale” les sites internet et applications mobiles.
L’évaluation d’accessibilité pour les sociétés de droit privé repose sur les exigences techniques précisées à l’arrêté du 9 octobre 2023.
Pour être conformes aux exigences d’accessibilité, les services numériques doivent être :
· Perceptibles : les images ou les infographies doivent pouvoir être présentées de différentes manières (texte, audio), sans perte d’information ni de structure. Les textes sont présentés en utilisant une police de caractères de taille et de forme appropriées et avec un contraste fort ;
· Utilisables : l’utilisateur doit pouvoir naviguer facilement sur le site, trouver le contenu, accéder aux fonctionnalités sur le clavier ;
· Compréhensibles : les pages doivent fonctionner de manière prévisible ; et
· Robustes : la compatibilité du service avec les structures actuelles et futures doit être optimisée.
b) Les obligations déclaratives : le prestataire de services doit fournir des informations évaluant la façon dont le service respecte les exigences d’accessibilité numérique. Celles-ci figureront dans ses conditions générales d’utilisation (CGU) ou dans un document équivalent.
Ces informations doivent inclure (i) une description générale du service dans des formats accessibles, (ii) les descriptions et explications nécessaires pour comprendre le fonctionnement du service, et (iii) une description de la manière dont les exigences d’accessibilité sont remplies par le service. (c. conso. art. D.412-57 et son annexe)
Par ailleurs, les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel excède 250 millions d’euros ont l’obligation de publier en ligne une déclaration d’accessibilité comportant une série d’informations supplémentaires, telles que : le lien vers le schéma pluriannuel de mise en accessibilité, les éléments d'évaluation attestant le respect des exigences en matière d’accessibilité, ou la liste des contenus non accessibles. La page d'accueil du service de communication au public en ligne mentionne s'il est ou non conforme aux règles d’accessibilité. (6)
c) Les obligations organisationnelles : enfin, la mise en conformité aux exigences d’accessibilité numérique inclut des obligations au niveau de l’organisation interne des entreprises concernées. Ces obligations comprennent :
· la mise en place de procédures de suivi de conformité en matière d’accessibilité ;
· la prise de mesures correctives en cas de non-conformité du service. Les autorités de contrôle devront en être informées immédiatement ;
· la communication des informations nécessaire pour démontrer la conformité du service avec les exigences techniques et déclaratives applicables ;
· la documentation de la conformité des services aux exigences d’accessibilité et la conservation des résultats pendant une durée de 5 ans.
A ces obligations, s’ajoute la nécessité pour les prestataires de services, de sensibiliser leurs salariés à la question de l’accessibilité numérique et de former les développeurs informatiques.
2.2 Exceptions à l’obligation de mise en conformité
La réglementation prévoit quelques exceptions à l’obligation de mise en conformité.
· Contenus fournis par des tiers : les règles d’accessibilité numérique ne s’appliquent pas aux contenus des plateformes de e-commerce fournis par des tiers au service, lorsque ce contenu n’est pas sous le contrôle de l’opérateur du service.
· Microentreprises : les entreprises de moins de 10 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 2 millions d’euros sont exemptées de l’obligation de mise en conformité.
· Enfin, certaines entreprises peuvent être dispensées de se mettre en conformité au cas où la mise en œuvre de ces exigences entraînerait une modification significative du service, ou imposerait un coût disproportionné par rapport au type de service fourni. (art. L.412-13 c. conso.) Le cas échéant, il conviendra de documenter la (les) raison(s) justifiant l’exemption.
2.3 Entrée en vigueur
L’obligation de mise en conformité est entrée en application le 28 juin 2025 pour les nouveaux services à destination des consommateurs à compter de cette date.
Les services déjà disponibles en 2025 bénéficient d’une période transitoire pour se mettre en conformité, jusqu’au 28 juin 2030.
De même, les contrats de service conclus avant le 28 juin 2025 peuvent se poursuivre sans modification jusqu’à leur terme, et au plus tard jusqu’au 28 juin 2030.
3. Le contrôle de la conformité et les sanctions applicables en cas de non-conformité
3.1 Les autorités de contrôle compétentes
Au lieu de créer une nouvelle autorité de contrôle en matière d’accessibilité numérique, le contrôle de la conformité des services aux exigences d’accessibilité est réparti sur les autorités existantes suivant leurs domaines de compétences respectifs : DGCCRF, Arcom, Arcep, ACPR.
3.2 Les sanctions applicables
Des sanctions peuvent être prononcées par les autorités de contrôle en cas de non-conformité du service aux exigences d’accessibilité, mais également en cas d’absence d’information des utilisateurs en matière d’accessibilité numérique ou d’absence d’information des autorités de contrôle.
Pour les personnes morales de droit public, les personnes morales de droit privé délégataires d'une mission de service public et les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel excède 250 millions d’euros, des sanctions pécuniaires pouvant atteindre 50.000€ (non-conformité aux exigences d‘accessibilité) et 25.000€ (non-conformité aux obligations déclaratives) peuvent être prononcées.
Pour les personnes morales de droit privé, le montant des sanctions s’élève à 7.500€ par infraction. Ce montant est porté à 15.000€ en cas de récidive.
Alors que la France compterait plus de 10 millions de personnes handicapées et plus de 7 millions de personnes âgées de plus de 75 ans, la question de l’accessibilité numérique reste encore ignorée ou sous-estimée par un grand nombre d’entreprises. Malgré l’investissement nécessité par la mise en conformité des services numériques aux exigences d’accessibilité, une majorité de prestataires de services numériques ont encore du mal à percevoir que l'accessibilité et plus généralement, la prise en compte de la diversité, devraient constituer un élément important de leur stratégie commerciale et être systématiquement intégrée dans leur démarche RSE.
* Cet article a été publié dans la Revue des Directions Juridiques et Conformité, n°108 d'octobre-novembre 2025
(1) Le site web du consortium W3C est accessible à : https://www.w3.org/. Les publications du WAI sont accessibles à : https://www.w3.org/WAI/
(2) Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) ; Loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (modifiée par l’ordonnance n°2023-859 du 6 septembre 2023), et plus particulièrement les articles 47 et 48 ; voir le site https://design.numerique.gouv.fr/accessibilite-numerique/
(3) Les WCAG sont régulièrement mises à jour. La nouvelle version en cours de finalisation à la date du présent article sont les WCAG 3.0 (https://www.w3.org/TR/wcag-3.0/)
(4) Voir décret n°2019-768 du 24 juillet 2019 relatif à l'accessibilité aux personnes handicapées des services de communication au public en ligne ; Arrêté du 20 septembre 2019 portant référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA).
(5) Décret n°2023-931 du 9 octobre 2023 relatif à l’accessibilité aux personnes handicapées des produits et services. Le décret modifie le code de la consommation pour y insérer les articles D.412-49 à D.412-62 et R.451-4 ; Arrêté du 9 octobre 2023 fixant les exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et services (voir art. 8 à 10 pour les services).
(6) La conformité des services visés par la directive Accessibilité est évaluée selon la norme européenne EN 301 549 sur les Exigences d’accessibilité pour les produits et services ICT (technologies d’information et de communication).
Bénédicte DELEPORTE
Avocat
Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com
Octobre 2025