La confidentialité des avis des juristes d’entreprise adoptée par l’Assemblée nationale

La confidentialité des avis des juristes d’entreprise adoptée par l’Assemblée nationale

Ce qu'il faut retenir
L’Assemblée nationale vient de voter un amendement au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice reconnaissant le principe de confidentialité aux consultations juridiques des juristes d’entreprise. La confidentialité est appliquée sous certaines conditions. Elle est exclue pour les consultations juridiques en matière pénale et fiscale.

Le 10 juillet 2023, après le vote par le Sénat, l’Assemblée nationale a, à son tour, voté un amendment du gouvernement, au projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, reconnaissant la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise.

Il aura fallu attendre plus de trente ans pour que le législateur français reconnaisse la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise, grâce notamment à un engagement de longue haleine des associations de juristes (AFJE, Cercle Montesquieu, ANJB), et malgré l’opposition du Conseil national des barreaux, rappelée encore dans sa résolution en date du 3 juillet 2023.

Comme le rappelle le gouvernement dans l’exposé de son amendement, les entreprises françaises sont soumises à des obligations de conformité de plus en plus nombreuses et exigeantes, allant de la gouvernance, en passant par la protection des données personnelles, la RSE, et la lutte contre le blanchiment par exemple. Le rôle des juristes d’entreprise porte sur la mise en oeuvre de ces obligations, y compris le conseil sur les risques juridiques à la direction de l’entreprise, tout en évitant le risque d’auto-incrimination de celle-ci.

La reconnaissance de la confidentialité des consultations des juristes d’entreprises est significative, tant du point de vue juridique que du point de vue économique. L’absence de protection des avis juridiques des juristes d’entreprises crée un déséquilibre et un désavantage par rapport aux pays anglo-saxons notamment, dont les juristes bénéficient du “legal privilege”. Nombre de sociétés multinationales décident donc de localiser leurs services juridiques dans des pays reconnaissant le legal privilege à leurs juristes d’entreprise. Cette décision a pour double conséquence un moindre nombre de juristes en entreprise en France que dans des pays au niveau économique comparable, et une application de droits anglo-saxon au détriment du droit civil français.


1. Le principe de confidentialité et son périmètre d’application

L’article 58 de la loi du 31 décembre 1971 sur les professions judiciaires et juridiques doit être complété pour intégrer les nouvelles dispositions relatives à la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprises. (1)

    a. Le principe

Un nouvel article 58-1 I pose le principe de la confidentialité des consultations en ces termes : “Les consultations juridiques rédigées par un juriste d’entreprise, ou à sa demande et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité, au profit de son employeur sont confidentielles.”

A contrario, on en déduit que les autres types de communications entre les juristes d’entreprise et leurs interlocuteurs en interne (les échanges par email par exemple - sauf si la consultation juridique est rédigée sous cette forme) ne sont pas couverts par la confidentialité.

Le texte complète par ailleurs en précisant que “les documents couverts par la confidentialité (…) ne peuvent dans le cadre d’une procédure ou d’un litige en matière civile, commerciale ou administrative, faire l’objet d’une saisie ou d’une obligation de remise à un tiers, y compris à une autorité administrative française ou étrangère. (…) Ils ne peuvent davantage être opposés à l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ou aux entreprises du groupe auquel elle appartient.”

    b. Les conditions requises pour bénéficier de la confidentialité

Plusieurs conditions sont toutefois requises pour que ces consultations juridiques puissent bénéficier de la confidentialité.

- Conditions applicables aux juristes
    i- Le juriste d’entreprise, ou le membre de son équipe placé sous son autorité, est titulaire d’un master en droit ou d’un diplôme équivalent français ou étranger ;
    ii- Le juriste d’entreprise justifie du suivi de formations initiales et continue en déontologie.

- Conditions d’identification et de traçabilité
Pour bénéficier de la confidentialité, les consultations juridiques doivent porter la mention ”confidentiel - consultation juridique juriste d’entreprise”.

A contrario, on en déduit que les consultations juridiques qui ne portent pas cette mention ne pourront bénéficier de la confidentialité.

Ces consultations sont soumises à une identification et une traçabilité particulières dans les dossiers de l’entreprise, et le cas échéant dans les dossiers de l’entreprise membre du groupe, destinataire de ces consultations.

L’apposition frauduleuse de la mention ”confidentiel - consultation juridique juriste d’entreprise” sur un document est punie de trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende.

- Conditions relatives aux destinataires des consultations
Ces consultations “sont destinées exclusivement au représentant légal, à son délégataire, à tout autre organe de direction, d’administration ou de surveillance de l’entreprise qui l’emploie, ou toute entité ayant à émettre des avis auxdits organes, aux organes de direction, d’administration ou de surveillance de l’entreprise qui, le cas échéant, contrôle au sens de l’article L.233-3 du code de commerce l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise, ainsi qu’aux organes de direction, d’administration ou de surveillance des filiales contrôlées au sens du même article par l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise.”

Le champ de cette confidentialité, et la notion “d’employeur” figurant au 1er alinéa de l’article 58-1, sont relativement larges puisque les avis juridiques adressés par le juriste aux différents services de l’enterprise (direction générale, mais également directions commerciale, informatique, ressources humaines, finance, etc.), ainsi qu’à ces services dans les sociétés du groupe, mères ou filiales, peuvent être couverts par la confidentialité.

- Le périmètre d’application de la confidentialité
Seules les consultations en matière civile, commerciale ou administrative peuvent bénéficier de la confidentialité. Les consultations juridiques en matière pénale et fiscale en sont exclues.


2. La levée de la confidentialité

La confidentialité peut être contestée ou levée selon une procédure détaillée.

En cas de litige civil ou commercial, le juge de la juridiction qui a ordonné une mesure d’instruction peut être saisi en référé par voie d’assignation, dans les quinze jours suivant la mise en oeuvre de ladite mesure, aux fins de contestation de la confidentialité alléguée de certains documents.

Dans le cadre d’une procédure administrative, le juge des libertés et de la détention qui a autorisé une opération de visite peut être saisi par requête motivée de l’autorité administrative ayant conduit cette opération, dans les quinze jours suivant celle-ci, pour contester la confidentialité alléguée de certains documents ou ordonner la levée de la confidentialité, dans la seule hypothèse où ces documents auraient eu pour finalité d’inciter ou de faciliter la commission des manquements aux règles applicables qui peuvent faire l’objet d’une sanction au titre de la procédure administrative concernée.  

Cette procédure est susceptible d’appel.

L’entreprise peut par ailleurs décider de lever la confidentialité des documents.

Dans le cadre de ces procédures, l’entreprise est tenue d’être assistée ou représentée par un avocat.

Un décret en Conseil d’Etat doit préciser les modalités d’application du texte.


3. Prochaines étapes

La loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice doit encore être votée.

Le texte doit donc être examiné en commission mixte paritaire et être voté dans sa forme définitive avant son entrée en vigueur.


    Certes, l’étendue de la confidentialité des consultations des juristes d’entreprises est plus limitée que le secret professionnel de l’avocat, mais il s’agit d’une avancée réelle pour l’exercice du métier de juriste en entreprise, voire même pour la reconnaissance de ce métier.

Ceci n’est toutefois qu’un premier pas. Il faudra encore travailler à un rapprochement des professions pour un jour arriver à la reconnaissance du statut d’avocat en entreprise, alors que les allers-retours entre la profession d’avocat et celle de juriste d’entreprise sont courantes : un grand nombre de juristes ont précédemment été avocats et vice-versa. Ces professions sont complémentaires et non concurrentes. A quand une “grande profession du droit” et la revalorisation de nos métiers ?

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(1) Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, devant être complété par un article 58-1


Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

juillet 2023