La Poste condamnée pour contrefaçon de logiciel

La Poste condamnée pour contrefaçon de logiciel

Ce qu’il faut retenir

Dans un arrêt du 8 décembre 2023, la cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation de La Poste pour contrefaçon de logiciel.
Après avoir déduit que l’éditeur d’un logiciel utilisé dans une solution développée avec La Poste est fondé à agir sur le fondement de la contrefaçon, et reconnu le caractère original du logiciel, la cour a décidé que la mise à disposition au public par La Poste sur Google Play de la solution intégrant le logiciel litigieux, alors que le contrat n’autorisait qu’une utilisation dans un environnement de test, était constitutive de contrefaçon.



1. Les faits

La société Lundi Matin édite des logiciels et applications mobiles, notamment un ERP open source dénommé LMB et un logiciel de caisse dénommé “Rovercash”, à destination du commerce de détail.

Depuis 2012, La Poste a adopté une stratégie de développement de services pour le commerce et l’e-commerce, matérialisée par la solution “Genius”, développée avec la société Lundi Matin. A cette fin, quatre contrats ont été conclus entre les deux sociétés entre 2015 et 2017 : contrat de test (proof of concept) de la solution, contrat de développement et d’interconnection des logiciels LMB et Rovercash avec un front office commerçants, et deux contrats de développement et d’adaptation des logiciels LMB, Intra LM, Rovercash et prestations associées, le dernier contrat ayant expiré le 6 avril 2017.

Ayant constaté la mise en ligne par La Poste de la solution Genius sur la plateforme Play Store de Google le 3 avril 2017, sans faire référence à son nom, et sans autorisation notamment sur la commercialisation du logiciel Rovercash, Lundi Matin a rompu les négociations en cours pour un nouveau contrat. Après une mise en demeure infructueuse, Lundi Matin a fait assigner La Poste en février 2018, en contrefaçon de logiciel, concurrence déloyale et règlement des factures impayées et à titre subsidiaire, en violation de ses obligations contractuelles. Non satisfaite, entre autre, du montant des dommages et intérêts alloués par le tribunal judiciaire au titre de la contrefaçon, Lundi Matin a interjeté appel du jugement.

Dans son arrêt du 8 décembre 2023, la cour d’appel de Paris a en grande partie confirmé le jugement du TJ de Paris du 6 juillet 2021, notamment sur la contrefaçon du logiciel par La Poste. (1)


2 . La commercialisation non autorisée d’un logiciel relève de la contrefaçon

En application de la règle de non-cumul des actions en responsabilité contractuelle et délictuelle, notamment en cas de violation de licence de droit d’auteur, la victime devait choisir entre poursuivre le licencié sur le fondement de la responsabilité contractuelle, ou bien agir sur le fondement délictuel (contrefaçon).

Selon La Poste, la société Lundi Matin lui reproche la commercialisation de la solution Genius sans faire référence à son nom, et sans autorisation de commercialiser et de reproduire le logiciel Rovercash. Il s’agirait donc d’un litige de nature commerciale, portant sur l’étendue des droits dont elle disposait en vertu des contrats conclus avec Lundi Matin, et non d’un litige en contrefaçon.

Or, dans un arrêt du 18 décembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé, en application des directives 2004/48 sur le respect des droits de propriété intellectuelle et 2009/24 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, que la violation d'une clause relative à la propriété intellectuelle, dans un contrat de licence de logiciel, relevait de la notion d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle. Le titulaire des droits doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par la directive 2004/48, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national. (2)

En l’espèce, la cour rappelle que l’action sur le fondement de la responsabilité contractuelle ne permet pas au titulaire des droits d’auteur sur un logiciel de bénéficier des garanties prévues par la directive 2004/48 en cas d’atteinte à ses droits. En cas d’inexécution de ses obligations par le débiteur, celui-ci peut être condamné à des dommages et intérêts, qui ne peuvent en principe excéder ce qui était prévisible ou ce qui était stipulé dans la clause limitative de responsabilité prévue au contrat. En outre, il n’est pas possible de procéder à la saisie des produits potentiellement contrefaisants.

La cour en déduit que la société Lundi Matin est fondée à agir sur le fondement de la contrefaçon, lui permettant ainsi de bénéficier des garanties prévues par la directive.


3. La démonstration du caractère original du logiciel

Dès lors que le logiciel est original, il est protégé par le droit d’auteur. Par conséquent, l’un des moyens pour le débiteur d’échapper à une condamnation en contrefaçon est de contester le caractère original du logiciel.

La démonstration de l’originalité incombe au titulaire des droits, qui doit “établir les choix opérés (…), témoignant un apport intellectuel propre et un effort personnalisé de l’auteur.”

En l’espèce, La Poste contestait l’originalité du logiciel Rovercash, arguant que la société Lundi Matin ne faisait que décrire les fonctionnalités du logiciel, le langage de programmation et le format des fichiers utilisés, éléments non protégés par le droit d’auteur.

Reprenant les critères définis par la jurisprudence, la cour relève que la société Lundi Matin a non seulement décrit les fonctionnalités du logiciel, le langage de programmation et le format des fichiers utilisés mais qu’elle a également décrit “les choix auxquels elle a procédé dans l’écriture du code et dans la composition (…) et dans la forme d’expression du programme, traduisant ainsi un effort personnalisé du programmeur dépassant la mise en oeuvre d’une logique automatique et contraignante. (…) Si certains de ces choix pris individuellement ne peuvent pas être originaux, ils traduisent toutefois, ainsi combinés, des choix arbitraires et spécifiques.”

En conséquence, la cour reconnaît l’originalité du logiciel Rovercash.


4. Les dispositions relatives au droit de l’utilisateur légitime sont inopérantes

L’article L.122-6 du code de la propriété intellectuelle définit le droit d’exploitation appartenant à l’auteur d’un logiciel, dont “le droit d’effectuer et d’autoriser 1° la reproduction permanente ou provisoire d’un logiciel (…). Dans la mesure où le chargement, l’affichage, l’exécution, la transmission ou le stockage de ce logiciel nécessitent une reproduction, ces actes ne sont possibles qu’avec l’autorisation de l’auteur (…)”, sauf s’ils sont nécessaires pour permettre l’utilisation du logiciel conformément à sa destination - par la personne ayant le droit de l’utiliser. (art. L.122-6-1 CPI)

Contrairement à ce décrit Lundi Matin, La Poste conteste que l’application Genius reproduit le code source du logiciel Rovercash. Or, d’une part le contrat de développement et d’adaptation des solutions LMB, Infra LM et Rovercash stipule notamment que ces logiciels restent la propriété du prestataire, et que La Poste s’engage à ne pas les exploiter sans l’accord écrit du prestataire, d’autre part la solution Genius était en phase de test (proof of concept). L’autorisation de Lundi Matin à La Poste d’intégrer son logiciel Rovercash dans la solution Genius n’était donnée que dans le cadre d’un test et non d’une exploitation commerciale.

Par ailleurs, le contrat était expiré depuis le 6 avril 2017.

Donc, non seulement La Poste ne pouvait invoquer l’application de l’article L.122-6-1 du CPI puisqu’elle n’était plus autorisée à utiliser le logiciel Rovercash dans le cadre du test, mais la distribution commerciale de la solution Genius sur Google play est constitutive de contrefaçon.

* * * * * * * * * * *


(1) CA Paris, Pôle 5, ch.2, 8 décembre 2023, S.A.S. Lundi Matin c. S.A. La Poste
(2) CJUE, arrêt du 18 décembre 2019, C-666/18, IT Development SAS c. Free Mobile SAS

Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Mars 2024